mardi 1 novembre 2011

Tor Des Geants 2011: The longest non stop ultratrail in the world ou l'histoire d'une course d'ultraendurance incroyable


Préambule

Du 11 au 18 Octobre avait lieu la seconde édition du Tor Des Geants 2011, une course de 332 km autour du Val d'Aoste en Italie empruntant successivement la Haute Route n°2 et 1. A vrai dire, avec ses 24000 m de dénivelé positif, cette compétition est sans doute une des plus difficiles qui existe à ce jour et sans aucun doute le plus long ultratrail non-stop, comme le met en avant l'organisation.



En 2010, Steph, déjà avait tenté l'expérience avec succès et si l'épreuve me semblait alors inaccessible, l'incroyable aventure et défi que cela représentait avait fini par me convaincre de m'inscrire... A vrai dire, difficile de résister aux arguments avancés par Steph et forcement, quand dès le début de l'ouverture des inscriptions, les 500 places commencent à partir comme des petits pains... Bah oui, on risque de passer à côté de quelque chose d'énorme et de s'en vouloir après, et puis il faut bien le dire, prendre le départ de la seconde Edition, ce n'est pas la même chose que prendre départ de la troisième ...


Le Tor Des Geants était mon objectif numéro 1 pour la saison 2011. Tout le reste n'était finalement que des étapes intermédiaires pour valider l'entrainement. J'en rajoute en fait un peu, la Ronda Del Cims, en Andore, avec ses 170km et 120000 m de dénivelé était un objectif en soi, en fait le deuxième de la saison en importance mais le premier dans le temps puisqu'il avait lieu le 15 juillet... Je ne rentrerai pas trop dans les détails de mes échecs (entendez par là abandons) de cette saison, mais disons qu'elle fut mouvementée, débutée par une belle entorse à la cheville, et continuée avec deux abandons successifs sur l'Ultradraille, au km 110/120 malgré une encourageante troisième place ainsi que sur la Ronda Del Cims au km 135 / 170 pour cause d'abcès au pied... Forcément, de tels événements, ça fait réfléchir, et je dois bien avouer que n'ayant pas validé les étapes intermédiaires de mon entrainement, ce Tor Des Geants, me faisait un peu peur...


Évidemment, abandonner avant même le départ n'avait pas beaucoup de sens et la perspective de pouvoir donner un sens à ces échecs à posteriori en validant l'étape ultime de la saison m'aidèrent à garder le cap et continuer coute que coute les derniers entrainements. Ce 11 septembre 2011, à Courmayeur, c'est donc résolu que je prends le départ, au côté de Steph, UFoot, rencontré sur la Ronda Del Cims et Janne Marin, avec qui Steph et moi avions réalisé le BMTU en 2009.


Et c’est parti



Compte tenu du défi qui se présente à moi, ma stratégie est de partir tranquillement, de rester le plus longtemps dans le vert pour éventuellement pouvoir faire la différence en fin de course quand la majeure partie des coureurs seront en train de lutter pour avancer un pas devant l'autre. Comme dans toute compétition, le départ se fait souvent sur les chapeaux de roue. Tout le monde est excité, on se sent bien, on veut grappiller des places et bien se positionner dès le début... Il faut pourtant résister le plus possible.


La première montée au col de l'Arp se fait sans réel problème. Le flot de personne est incessant et je croise à l'occasion Janne Marin et plus inattendu, Phillipe Perez, du Team Issy Aventure, croisé sur le Raid Edhec, en 2010. C'est l'occasion pour moi de discuter un peu avec lui de sa saison, mais aussi de l'interroger sur un des projets qui m'occupe un peu en ce moment, la préparation du Wenger Patagonian Expédition Race, raid non-stop de 600km en Patagonie du sud, et dont j'apprends qu'il en a déjà pris le départ quelques années auparavant. Pour lui, je suis un gars un peu fou qui court toujours dans tous les sens et il m'interroge sur ma stratégie de course, curieux de savoir comment j'allais pouvoir gérer tout ça ! Amusé, je lui réponds alors que j'essaie de calmer mes ardeurs et de me préserver le plus longtemps possible... Essayer, car je connais mon excitation et mon empressement à vouloir bien me positionner dès le début.


Si la première montée s'est bien passée, la seconde le Passo Alto à 2857 m d'altitude me semble d'un coup plus difficile. Je ralentis quelque peu tout en essayant de garder un rythme surtout régulier. Sur le plan de route que je m'étais préparé, je suis largement en avance, ce qui est assez logique vu que j'avais calculé mon rythme de progression sur une vitesse moyenne linéaire. Il me reste à vrai dire peu de souvenir de cette première partie. Les supporters sont présents un peu partout sur le parcours en ce premier jour d'épreuve. C'est à la fois génial et perturbant quand on essaye de se concentrer sur ses sensations et se mettre dans le bain de la course. Les supporters s'attendent aussi à ce que nous donnions le meilleur de nous-même, mais nous savons que nous ne pouvons les satisfaire à ce niveau-là, nous ne sommes après tout encore qu'en début de course !


Ma première fatigue se dissipe peu à peu quand je commence enfin à réussir à entamer le premier sandwich que je m'étais préparé. Je me sens bien en fait, pas mal du tout. Alors que le temps relativement nuageux nous avait épargné jusque-là, la pluie commence à tomber vers 18h, ce dimanche, premier jour de l'épreuve. D'abord fine, celle-ci va s'intensifier peu à peu pour trouver son rythme de croisière peu avant mon arrivée à Valgrisenche, la première base de vie située au 48,6ème kilomètre.


Il est 19h44 quand j'arrive sur cette première base de vie, l'heure idéale pour prendre un premier repas consistant et surtout me changer pour affronter la nuit qui s'annonce d’ores et déjà très pluvieuse. Alors que je termine mon petit plat de pâtes, difficilement avalé, c'est un véritable orage qui éclate au-dessus de nos têtes. Sous le chapiteau chacun s'interroge sur l'opportunité de se reposer un peu plus longtemps, le temps que le ciel veuille bien se calmer. Malheureusement, si l'heure était idéale pour un premier petit repas, elle était loin de faire l'affaire pour un petit somme, à vrai dire bien trop tôt par rapport à mon planning et surtout par rapport à mes besoins en sommeil. Entre temps, Christian Mauduit ayant rejoint Valgrisenche, nous décidons de repartir ensemble pour affronter cette première nuit sur le Tor des Géants. Il est 20h43 quand je quitte Valgrisenche, une heure après mon arrivée. Je me suis changé, ai sorti la goretex ainsi que mes deux frontales... La forme est là, le moral aussi surtout, tout peut continuer.

Une première nuit humide mais efficace



Malgré la pluie, la montée vers le col fenêtre (km 58) se fait sans problème. Dans la forêt, le sol ne glisse pas trop, et ma Goretex me protège efficacement de la pluie et du vent, suffisamment pour que mes propres efforts suffisent à me réchauffer. Arrivé au refuge du chalet de l'épée, je décide de quitter Christian, pour continuer à mon propre rythme. Je regorge d'énergie et décide d'en profiter pour prendre un peu d'avance sur mes concurrents dont certains commencent un peu à accuser le coup. Dans la descente sur Rhemes Notre Dame, j'ai l'impression de voler. Avec ma technique de descente, tout me semble léger et fluide, je ne mets pas dans le rouge, éprouve de belles sensations et rattrape facilement les autres coureurs engagés dans cette descente. Parti 55 ème à Valgrisenche, j'arrive 39eme à Rhemes Notre Dame, après avoir doublé dans la descente Giuliana Arrigoni et Patrizia Pensa, féminine du Team Technica que, je ne le savais pas encore, je passerai mon temps à recroiser tout au long de cette compétition.


À 4h36 du matin, ce lundi 12 septembre, après avoir affronté le premier 3000 m du Tor des Géants au col d'Entrelor (km 68)' j'arrive enfin à Eaux Rousse (km 78). Après 18h30 de course, je décide enfin de m'arrêter dormir un peu...

Lundi 12 Septembre, 4h36, km 78

...

Mon réveil sonne, peu avant que la bénévole ne vienne me réveiller. J'ai dormi une heure, c'est dur... Dehors, il pleut encore, et quitter la chaleur de la couverture est particulièrement difficile. C'est dur mais il faut bien repartir, le plus dur est encore devant moi. Dans l'immédiat, ce n'est ni plus ni moins que le point culminant du Tor des Géants que je dois affronter, le Col Loson, à 3299m, soit depuis Eaux Rousse, 12 km et 1633m de dénivelé positif d'un coup. Le soleil se lève peu à peu, la pluie a enfin cessé. Sur le chemin, je croise un coureur qui somnole sur le bas-côté, alors que le soleil, commence enfin à nous faire profiter de sa chaleur. Le ciel est maintenant bien bleu, mais les rayons encore rasant peinent à compenser la fraîcheur et l'humidité des torrents de fond de vallon. Pour la première fois, je me rends compte que j'ai mal à la gorge... La montée au col est interminable, je la gravis pied par pied, mètre par mètre et c'est avec énormément de soulagement que j'atteins le sommet, vers 10h du matin, km 90, 24 heures de course dans les pattes, plus de 8000m de dénivelé positif et une heure de sommeil. Alors que la nuit m'avait vu bien en forme, ce début de journée s'annonce plutôt éprouvant pour moi. Je me suis fait doubler plusieurs fois dans la montée, et malgré quelques sensations dans la descente, c'est en 59eme place que j'arrive dans la seconde base de vie à Cogne. Il est alors 12h30... Depuis bien longtemps, la fraîcheur matinale a laissé place aux lourdes chaleurs



Après 52 minutes d'arrêt, je décide de reprendre le chemin vers la fenêtre di Champorche à 2827m. Arrivé 59eme, je repars 47 ème, prouvant ainsi que la gestion des temps d'arrêt est primordiale. À vrai dire, la montée est très progressive. Il fait toujours chaud, mais les nombreux ruisseaux me donnent l'occasion de mouiller ma casquette et de me rafraîchir. Je n'ai toujours pas retrouvé ma forme de cette nuit mais j'arrive tant bien que mal à gérer mon effort. Plus difficile est alors la gestion de mon alimentation et surtout de mon hydratation. En effet, mon mal de gorge me rend particulièrement pénible l'absorption de ma boisson énergétique ainsi que du coca, abondamment présent sur les ravitos mais particulièrement acide pour ma gorge. Je me force à boire malgré tout mais il me faudra attendre encore plusieurs dizaine de kilomètres avant de trouver un début de solution. Au niveau nourriture, mes propres rations de fruits secs, compote de pomme, commencent à me lasser. Heureusement, les ravitaillements sont richement fournis en biscuits, charcuterie et autres tartes aux myrtilles, abricots, qui font mon bonheur.


A la fenêtre du Champorcher, km 119, passé vers 18h-18h30 succède une interminable descente de 28km vers Donnas, la troisième base de vie. Le début de la descente dans les alpages est sympa, mais laisse très rapidement place à un interminable et monotone chemin en forêt, passant son temps à descendre et remonter, sans que l'on comprenne vraiment pourquoi. En toute honnêteté, je pense que ce passage est l'un des rares passages, sur les 332 km, à n'avoir aucun intérêt... Voyant peu à peu disparaître le soleil ainsi que mes chances de pouvoir arriver avant 21h à la base de vie, je prends alors mon courage et me motive pour adopter un rythme de course efficace... Le problème avec ces portions interminables et sans paysages (en forêt), c'est que l'ennui nous démotive complètement à avancer efficacement. Sans motivation, à quoi bon courir ? Évidemment, c'est un cercle vicieux qu'il faut se forcer à vaincre, mais ce n'est pas aisé...


Dormir, le nerf de la guerre ? Donnas où le dortoir surchauffé

Il me faudra 3h30 pour parcourir les 20km qui séparent Chardonney et Donnas (km 148)! 3h30 !! Arrivé dans Donnas, même, il reste encore quelque kilomètres à parcourir dans la ville avant de rejoindre cette base de vie, qui marque un tournant dans le parcours du Tor des géants, puisque situé à peu près à mi-parcours, c'est à cet endroit-là que l'on rejoint la haute route n°1, entamant symboliquement notre retour vers Courmayeur. Arrivé à 22h53, je décide de m'arrêter pour dormir une heure. Las ... Il fait tellement chaud dans le dortoir improvisé que dormir m'est pratiquement impossible. Quel calvaire de se dire qu'il faut dormir, de se sentir fatigué mais de ne pas y arriver, ou tout au plus somnoler légèrement ...



Arrivé à 22h54 en 39 eme position ce lundi 12 septembre, je quitterai la base le mardi à 1h40 du matin... De toute évidence, j'avais besoin de faire une bonne pause, mais ces 2h40 d'arrêt me semblent avec du recul longues surtout vu l'efficacité toute relative du sommeil que j'y ai eu. Si je suis resté 1h allongé, cela signifie qu'il m'a fallu 1h40 pour manger, prendre une douche, et me changer. Je pense que c'est dans ces instants là qu'une assistance personnelle peut faire la différence. Je me rappelle très bien de mon état dans cette base, le regard un peu perdu, mangeant les pâtes, une à une, réfléchissant sans cesse à la prochaine chose que je devais faire avant de pouvoir repartir de la base, multipliant les allers retours entre ma table et le ravitaillement. Évidemment, il faut ce qu'il faut et au final, le fait que je reparte malgré tout en 33eme position après autant de temps passé sur place indique que cet arrêt n'était pas si dramatique ... Mais quand même, il y a sans doute ici matière à amélioration de ma part.


Bref, il est 1h40 quand je quitte enfin Donnas, pour entamer la montée vers le refuge Coda. Je ne tarderai pas être rattrapé par Virginie Duterme (future 4ème femme au classement) que j'accompagnerai 12 kilomètres jusqu'à l'étoile du Berger, avant de la laisser partir devant, épuisé que j'étais par le manque de sommeil ... Pouvoir la suivre ces quelques kilomètres a été pour moi d'une aide précieuse et je la remercie chaleureusement... Dans ces moments, où le cerveau ne veut plus donner d'ordre aux muscles, et où chaque mètre nécessite une concentration énorme pour continuer à avancer coûte que coûte, pouvoir suivre quelqu'un sans trop se soucier d'où poser les pas est une aide sans prix. Je pensais en fait trouver un endroit où dormir encore à l'étoile du berger, mais il n'y avait en fait rien de prévu, m'obligeant à dormir 10 minutes sur un banc, emmitouflé dans ma couverture de survie avant d'être réveillé par le froid.


Ces 10 minutes peuvent paraître anecdotiques, mais atteint un certain stade d'épuisement, elles font vraiment la différence et permettent de repartir un peu plus frais par la suite et de continuer un peu, jusqu'au prochain ravitaillement ou refuge. Idéalement, dans ces conditions d'épuisement, il faut au moins dormir une heure d'affilé pour pouvoir repartir durablement et affronter la journée, mais dormir une heure nécessite un minimum d'installation de nuit, ou un peu de chaleur de jour. En l'absence de ces infrastructures, une séance de micro sommeil était sans doute la seule solution pour continuer d'avancer en sécurité. Il me faudra attendre d'atteindre le refuge Coda à 2242m d'altitude, au 167 eme kilomètre pour pouvoir avoir cette pause.

Coda, km 167 : un nouveau départ

Le refuge Coda est sans doute le refuge ou j'ai le plus apprécié m'arrêter. Situé exactement à la moitié du parcours, il offre une vue magnifique sur les environs et l'on peut y apercevoir au loin le mont Blanc, ou dit autrement, 167km plus loin, le lieu d'arrivée !! Je ne me rappelle plus trop combien de temps j'ai dormi au refuge, probablement 1h-1h30, mais je pense que ce fut l'un de mes arrêts les plus efficaces. De façon générale, mieux vaut dormir dans les refuges ou l'on dispose souvent d'une chambre à soit tout seul, que dans les bases de vie, bruyantes et parfois surchauffées comme ce fut le cas à Donnas.


Bref, mon arrêt au refuge coda marque pour moi un tournant dans mon cycle de fatigue et c'est plein de motivation et de force que je repars vers Greyssoney, la quatrième base de vie, situé au 200eme kilomètre du parcours. Le temps est toujours au plus beau, il fait chaud, mais l'altitude et les nombreux ruisseaux permettent de continuer à supporter la chaleur. Après 6 kilomètres environs de descente sans croiser personne, je recommence enfin à dépasser des coureurs. Je me sens en forme, les beaux paysages me motivent pour continuer à un rythme soutenu et l'alternance de montée et descentes passent comme une lettre à la poste, malgré quelques saignements de nez à intervalle régulier. Je finis par rejoindre et sympathiser avec Vincent Louon, coureur venu de Bruxelles, avec qui je ferai 18 kilomètres en sa compagnie, jusqu'à Greyssoney.


En montant au col Lassoney à 2364m (km 190), Vincent et moi recroisons Virginie Duterme, avec qui je m'étais séparé le matin vers 5h18 à l'étoile du berger. C'est en fait assez impressionnant de remarquer, après coup, comment les écarts entre les personnes se font et se défont. À Niel, avant d'entamer la montée sur le col Lassoney, Virginie avait 56 minutes d'avance sur moi. À ce même poste, Patrizia Pensa et Giuliana Arrigoni avaient 2 heures d'avance et au gré de mes arrêts, je ne les recroiserai qu'au km 251, 263 et 3 kilomètres avant l’arrivée au refuge Bertonne au km 329 ! Quant à Virginie, arrivée 10 minutes après moi à la base de vie de Greyssoney à 19h30 le mardi 13 septembre, elle repartira de cette même base 30 minutes avant moi à 22h34 et il faudra attendre la base de vie de Valtournanche le mercredi 14 septembre 2011 vers 10h20 au km 235 pour que je la redépasse à nouveau !



Mais revenons à notre parcours, au km 203, à Greyssoney. Cela fait maintenant plus de 57 heures que le Tor Des Géants a commencé, et 15526m de dénivelé positifs cumulés ont été gravis. Chaque base de vie est l'occasion de se détendre un peu de laisser un peu de répit à notre corps pour retrouver ses marques. Arrivé en 32 eme position, je quitte la base en 36 eme position, après 1h30 à 2h de sommeil et un temps d'arrêt total de 2 h 40.


De Greysonney à Valtournenche, libre dans la nuit noire !

Plus le temps passe et plus il me semble difficile de récupérer avec aussi peu de sommeil. À peine la première montée vers le col Pinter entamée (2776m d'altitude), je sens la fatigue à nouveau s'emparer de moi. Heureusement j'ai repéré le refuge Alpenzu sur le parcours, au km 206 (soit à peine 6 km après mon départ de la base !) et me le fixe comme objectif pour m'y arrêter dormir... C'est dur, c'est dur ... Persuadé d'avoir fait le bon choix en dormant plus longtemps que la fois d'avant, se rendre compte que cela n'est pas suffisant et nécessite un arrêt supplémentaire est un peu perturbant, c'est se rendre compte que certains points de repères ont tout simplement disparu depuis un bon bout de temps et qu'il va falloir constamment s'adapter pour terminer cette incroyable aventure que je me suis posé pour défi.


Il est minuit environ au refuge Alpenzu. Après 15 minutes de sommeil dans une des chambres, je décide de rajouter 30 minutes... Un peu comme les matins de boulot, où l’on repousse l'heure ultime du réveil... Mais oui, il faut y aller, l'histoire n'attends, pas, le chronomètre tourne toujours, invariablement, manque de sommeil ou pas. Les bénévoles rencontrés dans ces moments de grande détresse sont d'un réconfort énorme. Les voir vous sourire, vous encourager, compatir silencieusement, être au petit soin avec vous... Ça n'a tellement pas de prix. Tout ce que je vous décris là, que l'on ressent quand on pousse son corps et sa volonté dans ses retranchements ce n'est finalement que de l'humanité, dans toute sa splendeur, quelque chose de bien simple finalement, mais qu'il est parfois bien difficile de voir et d'apprécier quand on est dans son petit confort.



Pour la première fois, je décide de prendre un café. Je ne sais pas trop si à ce niveau de fatigue, un café peut faire la différence, mais si son impact est seulement psychologique, alors, c'est toujours cela de gagné. Et de fait, je repars de plus de belle, probablement vers 1h du matin le mercredi 14 septembre, km 206 sur le parcours du Tor des Géants...

Dans quelques heures, Florent doit me rejoindre sur la base de vie de Valtournenche, au km 235. La nuit est belle, étoilée, de temps en temps j'aperçois au loin une ou deux frontales au loin, quelques kilomètres devant, et cela me motive encore plus pour avancer. Seul au milieu de nulle part, entouré de montagnes toutes plus magnifiques les unes que les autres... C'est magique ! Musculairement, tout roule, rien à signaler. À nouveau, comme lors de la première nuit passée sous la pluie, je me sens voler, des ailes ont poussé, et je suis le roi du pétrole... ou plutôt le roi de la montagne, à ceci près qu'il est donné à n'importe qui d'être le roi de la montagne, si l'on sait l'écouter et l'apprécier.


A cette heure de la nuit, les seules rencontres que je fais sont dans les quelques refuges que je croise de temps en temps. Là encore, ces quelques contacts humains font plaisir. Je ne suis plus en détresse, c'est moi qui sourit maintenant, parce que je me sens bien, euphorique, j'ai envie de rendre tous ces sourires que j'ai reçu quand ça allait moins bien. Après le refuge de Crest au kilomètre 215, St. Jacques au km 221 où je croise Shougo Mochizuki, (un sud-coréen, je crois), croisé pour la première fois à Niel, quelques kilomètre avant Greysonney. À St. Jacques, je repars 33eme, et je ne le savais pas alors, 26 minutes derrière le Belge Vincent Louon et encore 1h11 derrière Virginie Duterme !



Le reste du parcours jusqu'à Valtournenche se fait avec la même aisance. Dans la montée au col du Nana à 2770m, je vois le soleil se lever. Les couleurs orange sur les crêtes des montagnes environnantes sont magnifiques. Je peux voir derrière moi, au loin Shougo Mochizuki et m'évertue à garder le même rythme d'ascension efficace.


Il est 9h25 ce mercredi 14 septembre quand j'entre enfin dans Valtournenche, au kilomètre 235. Cela fait maintenant plus de 71 heures que le départ a été lancé, et il reste moins de 100 km à parcourir, accompagné de Florent qui s'est gentiment proposé d’être mon pacer pour ce dernier tronçon ! Je l'imaginais initialement me donner un rythme pour m'aider à mieux avancer mais me rends rapidement compte que ne pas avancer à mon propre rythme serait une grosse erreur ! Arrivé en 29eme positions, 20 minutes seulement après Virginie Duterme, je repars en 25 eme position après 54 minutes d'arrêt


Valtournenche – Ollomont : après l’euphorie, la fatigue

La compagnie de Florent est géniale et me permet de bien commencer la journée, ou en tout cas de rompre le silence de cette belle nuit solitaire, mais endiablée. Nous avons plein de choses à nous raconter. Nous discutons du suivi de la course en ligne, de la position des leaders et tout spécialement de Steph, qui jusqu'à présent a réalisé une course juste impressionnante. Tout se passera bien pour moi jusqu'au km 253, peu après le bivouac Reboulaz où le sommeil me rattrape à nouveau vers 15h30. Au bivouac (km 251), j'ai à nouveau dépassé les deux italiennes, Patrizia et Giuliana mais celles-ci me dépasseront à nouveau quelques kilomètres plus loin, alors que le sommeil m'a à nouveau assailli. À ce sujet, je dois dire qu'il est assez impressionnant de constater la rapidité, soudaineté avec laquelle le sommeil peut se manifester, coupant tout droit mon élan et mon envie de trottiner. À nouveau épuisé, je profite du magnifique petit refuge de Cuney pour dormir 1h30.


Pendant mon sommeil, passera notamment Grégoire Millet, qui souffre d'une grosse tendinite depuis pratiquement le début de l'épreuve et qui continue malgré tout à courir, comme exemple pour ses enfants à qui il veut montrer qu'il faut savoir assumer quand ça va bien mais aussi quand ça va mal. Au-delà de ce bel exemple d'abnégation, j'ai particulièrement apprécié la bonne humeur du personnage, toujours prêt à déconner malgré la douleur.



Malgré la beauté des paysages, les 15 kilomètres qui séparent le refuge de Cuney de Closé au kilomètre 270 seront particulièrement durs pour moi. La descente depuis le col de Vessonaz (2788m) jusqu'a Closé est particulièrement monotone et longue. Je reste les yeux rivés sur mon altimètre. Du col, nous devons en effet descendre jusqu'à 1456m d'altitude. La lumière commence à baisser et je sais pertinemment que la fatigue n'attend que l'obscurité pour venir m'assaillir à nouveau et il reste encore 1050 mètre de dénivelé positif et 1123 de dénivelé négatif avant la dernière base de vie d'Ollomont située au symbolique km 280.


Ollomont, dernière base de vie avant la fin … mais quelle fin ?






La dernière montée avant Ollomot est un calvaire. Heureusement, le pauvre Florent est là pour me supporter et amoindrir mon pessimisme d'alors ainsi que ma propension à râler ... Oui c'est dur. J'ai beau m'être arrêté pour dormir 10 minutes à Closé, j'ai de plus en plus de mal à me concentrer. Pour ne rien améliorer, mes deux genoux décident de me lâcher au Col Brison, 2508m au moment de redescendre sur Ollomont. Pour la première fois depuis le début, j'ai mal physiquement et commence à me poser des questions sur ma capacité à terminer la course avec de tels genoux... le verdict à Ollomont confirme bien, si c'était nécessaire que mes genoux n'allaient pas bien. Le médecin sur place me fait deux compresses de glaces autours de mes genoux en me disant d'aller dormir...


Ça tombe bien, ça, moi qui voulait dormir ... Mais avec de la glace vraiment, je ne vais pas avoir un peu froid ? J'avoue que mon repos sera un peu chaotique. En montant dans le dortoir au premier étage, déguisé en robocop, j'ai un peu l'impression d'abandonner Florent. Je crois qu'à ce moment-là, je ne savais plus trop ce que je faisais ou plutôt ce que j'allais faire... Plus aucune certitude de pouvoir terminer finalement, balancé alors entre l'idée de dormir enfin sans me restreindre et le regret de devoir abandonner. Bizarrement, mon repos de 2 heures me semblera une éternité. À peine réveillé par mon téléphone, un nouveau saignement de nez me précipite à nouveau en bas dans la salle commune du refuge où l'on se met en branlebas de combat pour soigner cet n-ieme saignement de nez !


Entre temps, Vincent Louon, notre Belge vient d'arriver à Ollomont, et c'est le visage en sang qu'il me voit débouler dans la salle commune, se demandant ce qui avait bien pu m'arriver, persuadé qu'il était que je me trouvais derrière lui. En quelque sorte, ce saignement de nez aura eu l'aspect positif d'accélérer mon réveil et mon départ de cette dernière base de vie ! Dans la salle commune, aussi, je croise Olivier Stembert, dont j'apprends qu'il est aussi un ami de Steph et avec qui je discute rapidement. Je retrouve aussi Florent en train de discuter avec Grégoire millet lui aussi arrivé à Ollomont.



Arrivé à 1h12 du matin ce jeudi 15 septembre à Ollomont en 25 eme position, je quitte la base 3h40 plus tard, à 4h50 en 24 eme position. Mon genou gauche a bien dégonflé, seul le droit semble devoir continuer à m'embêter. Je suis ravi de reprendre le départ, mais inquiet quand même sur la capacité de mes genoux à terminer cette aventure hors norme. Avant Courmayeur, il me reste deux cols à passer (le col Champillon à 2700m et le col Malatra à 2936m) et quand même 50km à parcourir. La montée se passe en fait pas trop mal. Je sens mes genoux un peu fragiles, sans pour autant que cela ne déclenche chez moi de douleur particulière. Mes bâtons m'aident à ne point trop forcer.

Descente douloureuse, plat ennuyeux





C'est au col Champillon (km 289) que nous assistons Florent et moi au lever de soleil. Là encore, le spectacle est grandiose. Moins grandiose en revanche est ma capacité de descente avec mes genoux, car oui, ça fait bien mal en descente, et je le découvrirai plus tard, aussi sur le plat. Pour essayer de continuer à avancer pas trop lentement, je teste plusieurs technique de marche, toutes aussi ridicules les unes que les autres mais ayant quand même l'avantage de me permettre de continuer à avancer. À la descente du col Champillon, succède un plat interminable jusqu'à St. rhemy en bosses (km 302). Je suis à ce moment-là un peu frustré de ne pas avoir les genoux pour courir, car mes muscles pour leur part ne demandent que cela. Sachant dans ma tête qu'il fallait me garder des forces pour éventuellement courir sur les 10 derniers km de plat avant l'arrivée et la descente sur Courmayeur, je me résous à de la marche forcé, me doutant bien que de toute façon, cette portion serait très lente pour la plupart des coureurs envahis par la monotonie du terrain.


À 10h ce jeudi 15 septembre, quand j'arrive à St. Rhemy, je suis alors en 24 eme position. Je suis tout excité... En forme malgré mon handicap mais excité à l'idée d'arriver probablement dans les 30 premier de cette 2ème édition du Tor des Géants ! Évidemment, rien n'est encore fait, mais déjà, je commence à me dire que ce n'est plus impossible, mais possible et peut être même probable ! dans la montée au col Malatra, la dernière avant Courmayeur, cette impression est confortée quand l'espagnol, Josep Maria Cabanas Coma me dépasse en trombe avant que je ne le reprenne finalement au Tsa des Merdeux (km 312). Dans le reste de la montée jusqu'au col puis dans la descente du col, je n'aurais de cesse de regarder derrière moi et de constater que le malheureux s'était complètement grillé en accélérant ainsi dans la montée, quand hormis mon handicap je disposais d'encore toute mes jambes.



Je ne dis pas que la descente au refuge Bonatti fut particulièrement facile pour moi, mais je savais en revanche que plus rien ne pourrait m'arrêter une fois arrivé à Bonatti, sur la seule portion que je connaissais d'ailleurs, puisqu'elle emprunte à l'envers une partie de l'UTMB entre Courmayeur et Arnuva. Comme expliqué plus haut, je savais très bien que c'est sur cette dernière portion roulante que je pouvais facilement grappiller des places, vu les jambes qu'il me restait ! Quand Florent m'a appris que les deux italiennes, accompagnés de deux autres coureurs étaient passés une demi-heure avant moi à Bonatti , j'ai tout de suite su ce que je devais faire ... Courir, courir, courir, dépasser mon handicap, me faire plaisir, les dépasser et tout terminer !


Voilà comment s'est terminé pour moi, cette course, en beauté. Il m'aura fallu 1h50 pour faire les 12 derniers kilomètres, dépasser le groupe de 4 à Bertonne, 3 kilomètres avant la ligne d'arrivée et descendre à tombeau ouvert sur Courmayeur. C'était magique, incroyable, et Florent toujours là pour me supporter derrière, à prendre des photos, des vidéos, je n'aurais pu rêver d'une fin plus belle que celle-là. J'ai beaucoup reflechi pour savoir si ça se faisait de dépasser ou pas les deux italiennes, mais je me suis dit que les dépasser n'enlevait rien au respect que j'avais pour elles et pour l'énorme course qu'elles ont réalisé toutes les deux... Au final, donc, je termine cette course 16eme au scratch sur 500, deuxième de ma catégorie senior 1, après 332km, 24000 mètres de dénivelé positif, 102h15 de course, 9h de sommeil, à plus de 22h quand même du talentueux et impressionnant Jules Henri Gabioud (suisse).



Voici ci dessous les résultats des personnes que j'ai rencontrées et dont je vous ait parlé tout au long de ce compte rendu :


  • Patrizia Penza et Giuliana Arrigoni terminent 17 et 18 eme au scratch, 2ème et troisième femme derrière la non moins talentueuse Anne marie Gross
  • Virginie Duterme termine 4ème femme et 57 eme au scratch en 116h49
  • Vincent Louon termine 25 eme au scratch en 105h33
  • Grégoire Millet termine 30 eme au scratch en 107h55 malgré sa blessure
  • Le sud coréen Mochizuki Shougo termine 12 eme au scratch en 100h02 min
  • Olivier Stembert termine 70 eme en 121:16
  • Phillipe Perez termine 57eme en 117h30
  • Christian Mauduit termine 58eme en 117h46
  • Pierre Horeau termine 35 ème en 108h31

En conclusion

Il y aurait énormément de choses à dire en guise de conclusion, tant cette épreuve du Tor des Géants a été riche. Toujours difficile de dire si cette épreuve a été ou pas la plus belle des épreuves d'ultra endurance que j'ai jamais faite, ni même si elle a été la plus dure et je ne sais pas d'ailleurs si cela aurait beaucoup de sens. Ce dont je suis sûr en revanche, c'est que ce type d'épreuve incarne à 100% l'esprit de l'Ultra Trail, à la fois par le professionnalisme de ses organisateurs, la beauté, la technicité et la difficulté de ce parcours... Bien loin de certaines épreuves, devenues référence dans le milieu, mais de plus en plus éloignées de l'esprit initial de l'ultratrail (copyright)



Avant de terminer par mes remerciements, j'aimerai quand même noter la belle performance de Steph dont je n'ai pas encore trop parlé pour le moment, et ce malgré son abandon forcé, 10 kilomètres avant l'arrivée à Courmayeur, et alors qu'il était 3ème au classement général derrière Jules Henri Gabioud, et Christophe le Saux. Je pense que le mieux est de vous renvoyer vers son compte rendu pour apprécier malgré ce malheureux accident toute l'ampleur de la course énorme qu'il a su mener ! Tu nous a fait rêver Steph, à chaque Check point j'essayais de suivre ton avance, c'était incroyable ! J'espère que tes remarques et tes réflexions sur l'accompagnement des têtes de course sur les épreuves d'ultra endurance telles que celles-ci sauront faire avancer les choses !


Enfin, j'aimerai remercier toutes celles et ceux qui m'ont suivi et supporté tout au long de cette belle épreuve. Je pense évidemment en premier lieu à Florent, qui a à la fois assuré le suivi sur mon mur Facebook et supporté en vrai sur ces 100 derniers kilomètres du Tor des Géants ! Merci pour ces belles photos, et ces encouragements surtout dans ces moments ou exténué par la fatigue, j'avais conscience d'être insupportable à tout le temps râler, merci Garçon !!! Merci aussi à Steph, évidemment, pour son accueil chez lui à Chamonix, et pour ses précieux conseils sur la gestion de course avant. Merci, à toutes ces personnes que j'ai rencontré sur cette course et qu'il a été un plaisir de côtoyer pendant quelques kilomètres. Merci enfin, à vous tous qui m'avez suivi sur internet, c'était génial de savoir que vous étiez là derrière !


Baz, pour vous servir

7 commentaires:

  1. Whaouuuu ! Quel beau récit. J'ai souvent eu l'impression de revivre le parcours 2010 car tu étais à peu près synchro en horaire, mais aussi dans les refuges dans lesquels tu as dormi. Belle gestion, du plaisir dans les mots, et un superbe résultat. Quel plaisir j'ai eu à te voir marcher sur le tapis rouge.
    Bravo Baz, bravo mon ado :)

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  2. A l'image de ta progression sur ce Tor des Géants, ton récit respire la sincérité, le respect et l'engagement pour ce beau sport qu'est l'ultra trail. C'est un plaisir à lire, je t'en remercie. Et toutes mes félicitations pour cette très belle place. Tu as formé une sacrée équipe avec ton compagnon de cordée, Florent. Il me sera très agréable de te revoir sur les sentiers.
    Bien à toi,
    Pierre

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  3. Salut Pierre, merci pour ce gentil commentaire. C'était cool de se recroiser sur le Tor après la Ronda et le marathon du montcalm. Bravo aussi à toi pour ta course. Au plaisir de se recroiser sur les chemins

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  4. Il manque quand même une photo avec la veste finisher :)

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  5. ... et une photo de mon pacer et photographe de luxe ! Bon, j'essaierai de corriger tout ça quand j'aurais un peu de temps !

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  6. Salut Pierre, merci pour ce CR ! mais il y a une erreur : Virginie Duterme ne finit pas 4ieme mais 5ieme... rattrappée puis devancée de plus de 2h par Marie Chaleyssin (une française) après Ollomont alors qu'elle comptait 5h d'avance sur elle à Ollomont. Comme quoi cette année, pour le classement dans la tete de course, la dernière section a été pleine de suspens !

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  7. Bravo pour ta superbe course et merci pour ce récit si bien écrit et vivant.

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